Lorient-le jour, Scarlett HADDAD
DIALOGUE-Une troisi
À l’origine de cette initiative, l’association suisse pour le dialogue arabo-européen. Fondée depuis un an, cette association regroupe certaines personnalités libanaises comme le Dr Hassan Ghaziri et l’ambassadeur Samir Hobeika, qui souhaitaient faire quelque chose pour rapprocher les Libanais. Il y a eu d’abord l’idée de réunir les chefs de file en Suisse et l’ambassadeur Didier Pfirter avait été envoyé sur place en tant qu’émissaire du président de la Confédération pour tenter de la réaliser. Pour de nombreuses raisons, cela n’a pas été possible. Par contre, des académiciens proches de tous les courants politiques ont accepté l’invitation de se rendre en Suisse pour discuter des questions de fond qui divisent les Libanais, en présence des délégués de l’association, mais aussi de l’État suisse, représenté en l’occurrence (cette fois du moins) par l’ambassadeur de Berne à Beyrouth, Didier Barras.
Une première rencontre s’était donc tenue en avril-mai et elle était restée limitée aux généralités. La seconde s’est déroulée un mois plus tard et les débats sérieux ont commencé. Un communiqué avait d’ailleurs été publié à l’issue de cette rencontre. Celle qui a eu lieu les 17, 18 et 19 août était donc la troisième et les protagonistes se connaissaient désormais plutôt bien et pouvaient divulguer le fond de leur pensée.
Les participants à cette réunion avaient établi un ordre du jour en quatre points : la démocratie consensuelle, les relations libano-syriennes, la loi électorale et la Justice. Mais, selon cheikh Farid Khazen, en raison de l’intensité des débats, seuls les deux premiers points ont été examinés et les participants sont arrivés à un accord à leur sujet. Un document exhaustif sera d’ailleurs publié pour expliquer le contenu de l’entente à laquelle ont abouti les protagonistes.
Cheikh Farid Khazen relève d’abord la franchise et la profondeur des débats, qui ont permis de cerner réellement la question de la démocratie consensuelle et celle des relations libano-syriennes. Il ajoute que le fait que les participants soient en général des académiciens et des représentants indirects des courants politiques a permis une certaine flexibilité. Il ne s’agissait pas de réciter des communiqués, mais d’essayer réellement d’aller au fond du problème, en donnant un contenu véritable aux clichés qui sont servis généralement.
Cheikh Farid Khazen explique ainsi qu’au sujet des relations libano-syriennes, il s’agissait d’aller dans le concret. On disait, avant, vouloir des relations privilégiées, sans préciser ce que cela signifiait. Or, les Libanais en ont obtenu une définition à leurs dépens, entre 1990 et 2005. Après le retrait des Syriens, il fallait donc réfléchir sérieusement sur la question : s’agit-il de destins communs, comme le souhaitent certains, ou de relations complémentaires et équilibrées ? La question a été longuement débattue et les académiciens présents ont abouti à une vision commune…
Au sujet de la démocratie consensuelle ou con-sociative, cette question n’avait jamais été sérieusement débattue, même si tout le monde sait qu’elle concerne la représentativité des communautés. Avant 1975, rappelle cheikh Farid Khazen, il y avait au sein de chaque communauté, deux courants plus ou moins forts et les alliances législatives, qui préludaient d’ailleurs à l’élection présidentielle, se nouaient entre un des courants au sein de chaque communauté. Il y avait par exemple, d’un côté les Chéhabistes, Rachid Karamé, Sabri Hamadé et Kamal Joumblatt et de l’autre, le Helf maronite, Saëb Salam, Magid Arslane et Kamel Assaad.
Les derniers développements ont balayé ces équations, puisque chez les chiites, les sunnites et les druzes, il y a désormais un seul représentant fort. Ce déséquilibre ne facilite pas le fonctionnement de la démocratie con-sociative. Désormais si le groupe représentatif se retire du pouvoir, l’autre n’est pas en mesure d’assurer la relève. Sans entrer dans les raisons qui poussent une partie à se retirer, il s’agissait pour les participants d’essayer de circonscrire le problème qui en découle. Selon le député membre du bloc de la Réforme et du Changement, les débats ont certes été menés sous la pression de la crise actuelle, qui servait de toile de fond, mais il n’a jamais été question de s’y arrêter, les participants préférant parler de concept d’avenir.
Selon cheikh Farid Khazen, il ne s’agit donc pas d’une énième commission de dialogue, ni d’une réédition de la rencontre de Saint-Cloud, qui, elle, regroupait des représentants directs des protagonistes politiques et aspirait à trouver des solutions à la crise actuelle. Il s’agissait plutôt d’une réflexion de fond, en vue de préparer un document qui servira de point de repère le moment venu, lorsqu’on sortira des séquelles des années de crise pour se tourner réellement vers l’avenir. Tout en relevant qu’il existe une profonde de crise de confiance entre les participants et ceux qu’ils représentent directement ou non, Farid Khazen ajoute qu’il y a eu des moments de tension, mais les débats étaient toujours constructifs et francs, avec comme objectif, la volonté de s’entendre. Selon lui, les grands développements sur la scène locale et régionale ont poussé les différentes parties à repenser des idées restées longtemps fixes. Même s’il reconnaît que les réunions de Suisse, qui doivent d’ailleurs se poursuivre, n’auront peut-être pas un impact réel sur la crise actuelle, Farid Khazen estime qu’elles ont le mérite de préparer le terrain et de fournir la plate-forme nécessaire à une entente de fond sur les problèmes qui divisent et qui reflètent de profondes appréhensions.
Scarlett HADDAD